TON TRAIN

Ce matin-là il faisait encore nuit. Dans le hall les odeurs de café se mêlaient à celles du cambouis et aux sifflets du chef de gare.

D’abord je t’ai aperçue sur le quai froid et poussiéreux, et ensuite je t’ai vue monter dans ce vieux train. Il était bringuebalant, sombre, il tremblait de son moteur mal réglé. Tu as longé comme une ombre les couloirs sous éclairés, tu as visité les compartiments en enfilade. Ils étaient tous vides. Tu as choisi une banquette rouge obscur, comme un sang croupi, ténébreux. Tu l’as caressée du regard, puis de la main. J’ai cru la voir s’éclaircir. Tu y as posé ta cuisse puis ton flanc, et enfin ton sein, et ton regard s’est porté vers le ciel. Le plafonnier s’est éclairé. Allongée ainsi sur le côté, la main sous la tête comme un poète qui cherche ses vers, les jambes recroquevillées comme un enfant qui dort.

Le moteur du train s’est emballé au tempo de ton souffle, sa rame à battre au rythme de ton cœur, sa lumière à éblouir à l’égal de tes yeux, et sa caresse du rail aussi douce que tes doigts quand tu les passe dans mes cheveux.
Laborieusement la machine a commencé à se mouvoir, lentement. Dans un cahotement chaloupé, elle s’est enfoncée dans la nuit noire le long d’une tortille marquée par des poteaux, et une anarchie de fils électriques en perdition vers je ne sais quelle destination. Celle qui va engloutir mon bonheur.

Tu n’as jamais quitté mon cœur, il se refuse aux modernités et aux vitesses folles. Il continue à être ce chenillard qui traverse les villages et les campagnes, avec à son bord une magnifique voyageuse qui dort.