Sanente s’est dotée d’un Musée de l’Esclavage.
L’entrée y est payante. Les esclaves n’ont pas fini
de faire gagner de l’argent à Sanente.
À l’inauguration du Musée, il fût organisé une fête mondaine. Des descendants d’esclave sont venus.
Assister à l’exposition des ossements de leur dignité. L’un d’eux vient même d’être cyniquement nommé Directeur de l’établissement. Aux bourreaux en apitoiement, il servira des rafraîchissements. Debout, solennels, la larme à l’œil, ils se tiendront sur le tapis rouge tissé dans les cheveux crépus de leurs victimes, et coloré de leur sang. Il trinquera avec eux, faisant mine d’être atterré par les aléas et les horreurs de l’Histoire. Car comme tout le monde le sait, l’histoire n’est que le fruit des aléas, et rien d’autre.
Beaucoup de biches et de gazelles ne seront pas vendues.
Vorace à l’insatiable, l’homme parvint à la disparition
de races animales, à l’extermination de peuples entiers, au pillage de la Terre. Mais il n’arrive toujours pas à épuiser un stock de côtelettes assises.
Sur des chaises.
Au bal.
Beaucoup de perles seront perdues sur et sous
les canapés, près des yuccas.
Tout cela était entendu.
Que l’offre serait supérieure à la demande.
Qu’il fallait éviter cette braderie.
Mais la femme, pas moins que l’homme, n’aime courir que les lieux courus. Elle voudrait se convaincre qu’elle y possède, elle aussi sa place.
L’humiliation peut prendre un goût doucereux.
Surtout quand la chair est mise à mariner,
un certain temps. Sur une chaise.
Tout cela était entendu.
Que l’offre serait supérieure à la demande.
Tout cela était entendu.
Que le fils du serf verrait sa dignité clouée sur un mur.
Que sa mirada et son ris seraient souvent pure peine.
Que l’amer de l’humiliation serait au rendez-vous.
Et pourtant.
Il existe des endroits plus cléments, plus accueillants.
Des Milongas humaines où les femmes sont princesses.
Des lieux où les hommes ne pratiquent pas le tri sélectif.
Des pays moins ostentatoires et bien plus chaleureux.
Mais ces lieux, de par leur mansuétude, perdent valeur.
L’humain boude ce qui est accessible.
Être trié sur le volet, voilà la consécration suprême.
Quitte à regarder les ossements de sa dignité.
Quitte à se trouver enjambé sur le carreau.
Pour une côtelette plus tendre.
Ramper pour une illusion d’appartenir aux élu(e)s.
Infâme.
Tel est le besoin de reconnaissance.
[…]
Titre du livre
Les femmes viennent de l’abrazo, les hommes vont à la sacada
Récit – Témoignage