LE RESCAPÉ

Suis-je un homme ou un fantôme ? 
Suis-je un corps sans esprit ou bien un intrus éthérique dans le monde des vivants ? 
Le croisement du métal raisonne encore en moi, alors qu’il ne reste que des âmes suspendues aux branches balancées par le vent. Les cohortes de poussière s’en vont sans moi. Seigneur, pourquoi m’as-tu destiné l’enfer du survivant ? 

Il y a peu de temps encore j’avais des frères à mes côtés, et aussi face à moi. Ils sont tous unis à présent. Sans moi. Rescapé anonyme, démarque inconnue d’un supermarché dont les règles m’échappent. Déjà au loin, le cliquetis des verres a remplacé celui des métaux. On boit, on rit, on chante, on se congratule pour le bon sens qui enfin l’emporte. Le traité est signé, on a compris que la paix s’impose, qu’elle est préférable pour tous.

Et moi le rescapé, je suis dans le néant de celui qui, manqué par les obus, a manqué l’occasion de survivre à la mascarade du monde.